Inauguration aire d’accueil

Le discours de Léandre Boizeau :

Neuillay-les-Bois le samedi 9 octobre 2010.

Battus, humiliés, condamnés pour un crime qu’ils n’avaient pas commis, Raymond Mis, Gabriel Thiennot et leurs six compagnons de misère, tournèrent longtemps en rond dans leur cellule et dans leur tête pour tenter de comprendre, d’apaiser leur souffrance, d’étouffer leur rage. Pouvaient-ils alors penser qu’un jour, soixante ans plus tard, ils donneraient leurs noms à une aire d’accueil, ici, en Brenne, dans leur pays ?
Certainement pas ! Eux leur projet n’était pas de passer à la postérité mais de vivre, de vivre une vie toute simple, faite de joies, de peines, de travail, de fêtes de famille, de matins silencieux, de ciel immense, une vie sans histoire, sans barreaux, sans parloir, sans cris de haine. Sans parenthèse carcérale tueuse de confiance et d’espoir.
Raymond Mis, Gabriel Thiennot, et leurs six compagnons injustement condamnés vécurent ensuite des vies d’hommes cassés. Malgré les trésors de tendresse déployés par leurs proches pour essayer de leur faire oublier cette plongée dans l’horreur. Le temps n’y fit rien : l’indicible souffrance enfouie au plus profond d’eux-mêmes remontait inexorablement en surface, tournait en boucle dans leur tête, la nuit, le jour, les ramenant à des images de peur à des bouffées d’angoisse.
« Ils viennent me chercher ! Ils viennent me chercher ! » gémissait encore Raymond sur son lit d’agonie.
L’affaire Mis et Thiennot c’est d’abord et avant tout un drame humain, celui de jeunes hommes que rien ne prédisposait à vivre un tel cauchemar et qui tous ont été victimes de la même machine à broyer les corps et les âmes.
L’affaire Mis et Thiennot, c’est aussi un désastre judiciaire. Encore un ! diront les observateurs les plus blasés à la lumière du spectacle grandguignolesque quasi quotidien que nous donne actuellement la justice de notre pays. À ceci près que dans l’affaire Mis et Thiennot on ne finasse pas avec les plans de carrière ou les réputations des supposés grands de ce monde, on ne fait pas dans la dentelle des non-lieu de circonstance, l’institution frappe lourdement avant de se réfugier dans un silence abyssal.
Que Mis et Thiennot clament, hurlent leur innocence pendant plus de soixante ans ! Que tout un pays les soutienne ! Qu’on dépose cinq requêtes en révision durant les trente années qui viennent de s’écouler, étayées par des faits nouveaux en béton armé ! Les magistrats de la cour de cassation s’en fichent visiblement comme de leur première robe de juge…
Le 2 juillet 2005, alors que nous inaugurions l’Espace Rencontres « Mis et Thiennot » aux côtés de Jean Petitprêtre, maire du Poinçonnet, nous disions, je cite : « Nous avons, vous le savez, déposé récemment une cinquième requête en révision. Elle semble être prise en considération. Sera-t-elle la bonne, donc la dernière ? Les évènements à venir nous le dirons…»
Les évènements sont venus sous forme d’un nouveau refus qui nous a été signifié le 19 mars 2007.
Alors, au point où nous en sommes de notre réflexion à quoi servirait d’instruire une sixième requête, une septième, une quinzième… ?
La loi actuelle sur la révision des procès, datant de juin 1989, qui doit beaucoup au Comité de Soutien et à l’action de Jean-Yves Gateaud et Michel Sapin, se proposait de faciliter la procédure de révision des procès.
Les chiffres (40 dossiers acceptés pour plus de 1800 demandes en 20 ans) prouvent qu’elle a échoué. Faut-il en conclure que nous, Français, nous avons la chance d’avoir une justice qui ne se trompe jamais ? Ou faut-il en déduire que les magistrats de la cour de cassation se comportent en gardiens du dogme de l’infaillibilité du jugement rendu par l’institution ?
Cette incapacité chronique à reconnaître l’erreur même lorsqu’elle est avérée a amené
Jean-Paul Thibault, notre avocat à émettre l’idée de faire bouger à nouveau la loi.
Puisque la justice est rendue au nom du peuple français, pourquoi n’y aurait-il pas, siégeant aux côtés des magistrats professionnels de la cour de cassation, un quota, à définir, de jurés populaires ? Cela éviterait peut-être à certains une interprétation par trop intégriste du Code pénal vécu comme de Saintes Ecritures….
Le bon sens voulant qu’on mette les bœufs devant la charrue, c’est dans cette direction que le Comité de Soutien va faire porter ses efforts dans les semaines et mois à venir.
Comité de soutien qui depuis trente ans, se bat pour la révision du procès Mis et Thiennot. En ce jour anniversaire de sa création, l’inauguration de cette aire d’accueil à Neuillay-les-Bois prend un caractère doublement symbolique. Elle marque la détermination de ce pays, de cette région à s’opposer au déni de justice fait à Raymond Mis, Gabriel Thiennot et à leurs six compagnons. Au nom de l’ensemble des membres du Comité de Soutien, je voudrais remercier le Conseil Municipal de Neuillay-les-Bois, son maire Gérard Faucher qui ont pris la décision courageuse de donner le nom de « Mis et Thiennot » à cette aire d’accueil.
Une aire d’accueil ! Là encore le poids du symbole est grand : c’est donc par là, par cette incontournable affaire, que les camping caristes débuteront leur visite de la Brenne. On ne pouvait rêver de plus forte et de plus justifiée entrée en matière.
Après l’Espace Rencontres du Poinçonnet, une rue de Thénioux dans le Cher et maintenant une aire d’accueil à Neuillay-les-Bois, le mouvement s’affirme. Villedieu, Saint-Gaultier, Argenton sont sur les rangs. En affirmant ainsi publiquement leur volonté de s’inscrire dans une démarche de soutien actif au combat pour la révision du procès Mis et Thiennot, les élus nous apportent une aide qui peut jouer un rôle déterminant pour la suite des événements.
Alors, me direz-vous, combien de places, combien de rues « Mis et Thiennot » nous faudra-t-il encore inaugurer avant que la justice ne se décide enfin à reconnaître qu’elle s’est trompée ?
La question ne se pose pas. L’essentiel est ailleurs. Il est dans l’affirmation de notre exigence de justice.
De justice ! Oui, de Justice !
Je savais qu’il y aurait du soleil, ce matin, à Neuillay-les-Bois.
Léandre Boizeau
Président du Comité de Soutien
Pour la révision du procès
Mis et Thiennot